L’Île des pas perdus (1967) a pour décor l’île de Ré. Ce livre distillant l’inquiétude contraste apparemment, par son réalisme de surface, avec les œuvres précédentes de l’auteur, plus ouvertement insolites. Mais, à y regarder de plus près, on constate que Paul Rigaud, le héros ― ou, plus exactement, l’anti-héros ― du roman, « s’efface », lui aussi, à sa manière. Adolescent prolongé, solitaire et vulnérable, qui évolue dans un monde peuplé d’adultes sûrs d’eux-mêmes, il va tenter, en aidant un forçat évadé, de s’écarter de ce milieu qui l’oppresse.
Cette « fugue en ré » (Muno avait envisagé dans un premier temps de donner ce titre à son roman) se révèle un écrit fondateur de son auteur, qui va retrouver au fil de son œuvre, dans Ripple-marks notamment, le bord de mer comme un lieu par excellence de la confrontation à soi et de l’examen de conscience. De sorte que l’on découvre ce qui pourrait bien être l’un des textes les plus éclairants de l’auteur des Histoires singulières.
Jean Muno (1924-1988), pseudonyme de Robert Burniaux, est une des personnalités les plus attachantes des lettres belges du siècle dernier. Ses récits, qu’il s’agisse de nouvelles ou de romans, sont empreints d’un sens aigu de l’insolite et d’une dérision nourrie d’un humour raffiné qu’une révolte contenue rend d’autant plus mordant. Son œuvre très personnelle est jalonnée de romans au fantastique quotidien (L’homme qui s’efface, Le Joker, L’Hipparion) et de recueils de nouvelles magistrales (Histoires griffues, Histoires singulières qui lui valut le prix Rossel) qui font de lui un représentant majeur de l’école belge de l’étrange illustrée par Jean Ray, Thomas Owen ou Jean-Baptiste Baronian. Son œuvre recèle aussi le texte majeur qu’est Ripple-marks, plongée autobiographique d’une lucidité ironique, et la décapante Histoire exécrable d’un héros brabançon.
En savoir plusRipple-marks (1976) est peut-être le plus grave des livres de Muno.
Les chapitres de cet essai, pourtant écrits à divers moments et dans des circonstances variées, sont reliés par un fil conducteur : un regard spirituel sur le monde, qui transcende les expressions poétiques singulières de chacun des auteurs étudiés. Un tel regard est aujourd’hui urgent et nécessaire, et la poésie est à même de le susciter. En effet, elle « offre un démenti calme, clair et ferme à ce qui verrouille le langage humain dans l’étroitesse du matérialisme, le mensonge du mercantilisme ou l’impasse du nihilisme » (Myriam Watthee-Delmotte).